Troubles de jouissance : Le bailleur peut-il invoquer ce principe pour expulser un locataire qui nuit au voisinage ?

Troubles de jouissance :
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troubles de jouissance
Par Audrey BERGAMINI Lu 2836 fois Publié le : 20/09/2021 Publié le : 20/09/2021


La notion de troubles de jouissance concerne le locataire en place, mais également le bailleur. Le propriétaire du logement peut en effet empêcher pour diverses raisons, le locataire de profiter pleinement du bien qu’il loue. À l’inverse, le locataire peut aussi les causer et ceux-ci se caractérisent le plus souvent par des troubles de voisinage. Le bailleur a dans ce cas un rôle à jouer et peut engager une procédure d’expulsion du locataire sur ce fondement.


L’essentiel.


Ce que dit la loi : L’article 1719 du Code civil impose au bailleur d’assurer une jouissance paisible du logement à son locataire. Inversement, l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 stipule que le locataire doit user paisiblement des locaux loués.

Procédure : Dans le cadre d’un trouble du voisinage, le bailleur peut agir à l’amiable puis engager une procédure d’expulsion locative.

 

| CADRES & PRINCIPES |


Troubles de jouissance : qu’est-ce que c’est ?


La loi évoque cette notion, mais c’est la jurisprudence qui en a défini les contours. 

Un trouble de jouissance se définit comme étant un acte qui empêche un tiers d’user d’une chose.

C’est une notion assez large qui peut impacter le locataire, des tiers, mais aussi le bailleur lui-même bien qu’il ne vive pas dans le logement. Le trouble ne se caractérise pas nécessairement par une intention de nuire ou par la faute (C.cass.2°civ.17 févr. 1993).


Ses différentes catégories


La jurisprudence a défini plusieurs types de troubles de jouissance. Ce type de problème peut intervenir par la faute du bailleur, de tiers ou du locataire lui-même.


Ceux causés par le bailleur


Le locataire peut être victime de troubles de jouissance de la part de son bailleur. Cela peut être par exemple : 

  • Entrée du propriétaire dans le logement sans l’autorisation du locataire (violation de domicile) ;
  • Refus de mise aux normes de l’électricité ;
  • Présence d’amiante ou de substances nocives...

Ces troubles sont généralement liés à l’entretien du logement qui empêche le locataire de jouir pleinement du bien. L’article 1719 du Code civil impose au bailleur de fournir au locataire une habitation décente, de l’entretenir, d’assurer l’entretien des plantations et lui permettre de jouir paisiblement des locaux.


Ceux causés par un tiers


Ces troubles se caractérisent le plus souvent par des nuisances sonores ou olfactives de la part de voisins.

Le propriétaire ne peut pas être tenu pour responsable de troubles de jouissance causés par des tiers (article 1725 du Code civil).


Ceux causés par le locataire


Le locataire peut en être à l’origine et empêcher les tiers d’avoir une jouissance paisible de son bien.

L’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 impose au locataire « d’user paisiblement des locaux loués suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location ».

Dans ce cas, la responsabilité du bailleur peut être mise en cause. Le plus souvent, ce sont de nuisances sonores, olfactives, des violences... 

Le propriétaire peut engager une procédure d’expulsion locative à l’égard de son locataire si le trouble de voisinage est caractérisé. Pour cela, le trouble doit être :

  • Permanent ;
  • Ou durable ;
  • Ou se répéter ;
  • Et présenter un degré de gravité.


| PROCÉDURE |


Comment expulser un locataire qui nuit à la paisibilité de ses voisins ?


Lorsqu’un bailleur est informé des troubles causés par son locataire, il est dans l’obligation d’agir, car à défaut c’est sa responsabilité qui peut être mise en jeu.


Action en résiliation du bail pour trouble de voisinage : quels recours ?


Comme toute procédure de résiliation du bail de location, le bailleur doit tenter dans un premier temps de résoudre le litige à l’amiable.


Procédure amiable


Le propriétaire peut dans un premier temps contacter son locataire. Il peut lui envoyer en parallèle un courrier recommandé avec accusé réception dans lequel il lui rappelle ses obligations.



ENVOYER UNE MISE EN DEMEURE


En cas d’échec, le bailleur peut faire appel à un conciliateur. Pour cela, il peut saisir la Commission départementale de conciliation. L’article 3 de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 qui modifie l’article 4 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 impose cette conciliation. 

En effet, tout litige inférieur à 5 000 € ou consécutif d’une telle nuisance de voisinage doit au préalable faire l’objet d’une conciliation ou d’une médiation, sous peine d’irrecevabilité.

Si la conciliation n’aboutit pas, le propriétaire peut saisir le Tribunal judiciaire et demander la résiliation du bail.

Procédure devant le Tribunal judiciaire


Le bailleur peut en effet demander au JCP l’application de la clause résolutoire du bail. Cela sera d’autant plus simple le locataire a déjà été condamné suite à une dénonciation reconnue par la justice qui a été menée par des tiers (voisins, syndic de copropriété).

Le propriétaire du logement peut faire appel à un huissier de justice pour faire constater les nuisances causées par son locataire. Plusieurs passages peuvent être nécessaires pour apporter la preuve de la durabilité ou de la répétition du trouble et l’absence de retour à la normale.


Expulser un locataire

Une mère expulsée de son logement social niçois suite à la condamnation de son fils


La décision rendue le 13 juillet par le Tribunal judiciaire de Nice est une décision sans précédent. En effet, la présidence de Côte d'Azur Habitat (bailleur social) assurée par Antony BORRÉ (adjoint au Maire de Nice) a pu obtenir la résiliation du bail et l’expulsion d’une locataire dont le fils venait d’être condamné à 20 mois de prison pour trafic de stupéfiants et qui avait également commis des dégradations avérées au sein de l'immeuble. Le Tribunal a considéré que « les troubles étaient suffisamment rapportés pour caractériser le trouble de jouissance paisible des lieux loués que tout locataire, ou tout occupant de son chef doivent respecter ».

Ce n’est pas la première fois que la justice punit un locataire pour des faits de délinquance. La C.cass.3e civ. dans une décision du 17 décembre 2020, un bailleur avait obtenu la résiliation du bail en raison de violences commises, même si elles ont eu lieu en dehors des lieux loués. 

Cependant, c’est la première fois que la justice décide de l’expulsion d’un titulaire d’un bail pour des délits commis par des personnes vivants au logement et pour lesquels le locataire n'est pas condamné. Le signataire d’un bail devient donc en quelque sorte responsable des actes commis par les autres occupants du logement et à ce titre peut risquer l’expulsion.

Il ne s’agit toutefois que d’une décision de première instance qui peut faire l’objet d’un appel, voire d’une cassation. Il faudra donc attendre une éventuelle décision d’appel pour savoir si cette décision fera jurisprudence.

Vos questions | nos réponses

Comment faire cesser un trouble de voisinage ?

Le propriétaire, un tiers, le syndic de copropriété peuvent engager la discussion avec le locataire ou éventuellement lui adresser un courrier recommandé avec accusé réception. Vous pouvez faire appel à un huissier de justice qui pourra constater le trouble, mais également discuter avec le locataire. À défaut et en cas d’échec, une procédure judiciaire peut être entreprise pour obtenir la résiliation du bail et l’expulsion après une tentative de conciliation.

Comment expulser un locataire pour troubles de voisinage ?

La procédure d’expulsion d’un locataire passe nécessairement par une phase amiable et notamment l’envoi d’un courrier recommandé et la saisine de la Commission départementale de conciliation. Le propriétaire doit prouver les troubles de voisinage. Ils doivent être permanents ou continus, ou répétés et présenter un degré de gravité.

Quelles sont les obligations du bailleur ?

L’article 1719 du Code civil impose au bailleur de garantir une jouissance paisible des lieux loués. Le propriétaire doit fournir un logement décent, l’entretenir ainsi que les éventuelles plantations, et ne pas entrer dans le logement sans l’autorisation du locataire.

Article de Audrey BERGAMINI
Juriste
Anciennement Clerc d'Huissier & Responsable du Recouvrement. Diplômée d'une Maîtrise en Droit international des affaires, du commerce et droit fiscal obtenue à l'Université Paris-Panthéon-Assas.